Les mystères de la nature [Liao]

* Intrigantes créatures que ces humains. A peine plus solides que des cafards, ils tiennent pourtant en joug le reste des espèces animales de ce monde, quelle ironie ! *

Adrian laissa échapper un petit rire moqueur qui le fit sortir de ses pensées. Lorsqu'il revint totalement à lui, il était sur le point de franchir le vieux portique de pierre délimitant l'entrée des jardins de la Forteresse. Il hésita un instant à pénétrer dans sa propre demeure, comme si cette fois sa présence allait perturber la sérénité des lieux.

"Et pourtant c'est à leur savoir faire que nous devons la beauté de ces jardins...", marmonna t-il, fixant d'un regard perplex le jardinnier qui s'était remis à désherber à la vue du maître des lieux.

Adrian se décida finalement à continuer. Arpentant un chemin de terre bordé par des buissons taillés à la perfection, son regard se balladait, se posant tantôt sur les roses qui ornaient les haies, tantôt sur les nombreuses petites bêtes qui grouillaient tout autour de lui. Bien qu'étant un lieu familier pour lui, Adrian ne pouvait s'empecher d'éprouver un sentiment d'émerveillement chaque fois qu'il parcourait les jardins dont il était si fièr. Le petit sentier menait à une imposante fontaine dont le bruit de l'eau qui s'en écoulait renforcait la quiétude ambiante. Entourée par quatre majestueux pins blancs de corée, elle semblait marquer le centre des jardins.

Adrian choisit cet endroit pour s'arrêter, il désigna un banc et invita le jeune homme qui le suivait à s'y installer. Le banc était couvert d'épines qui, de toute évidence, provenaient des quelques branches de pins qui s'étendaient au dessus. Mais ces épines ne semblèrent pas gêner le garçon qui s'installa à l'endroit désigner, il paraissait plus préoccupé par le silence omniprésent qui s'était établi entre lui et Adrian depuis leur départ du village voisin.

Adrian, ne prêtant toujours pas attention au jeune homme, s'approcha de la fontaine et y plongea sa main. Un petit frisson le parcourut au contact de la fraîcheur relative de l'eau comparée à la température de l'air. Lorsqu'il s'apperçut que la présence de sa main dans l'eau semblait troubler la paix de cette dernière, il la retira. Alors seulement il se retourna vers l'humain, qui baissa les yeux immédiatement lorsque leur regard se croisèrent.

"Bien, je vois que je n'aurais pas autant de choses à t'apprendre que je ne l'imaginais finalement.", dit Adrian en souriant.

Ce dernier fit quelques pas dans la direction du jeune homme et une fois à une vingtaine de centimètres de lui, il s'accroupit. Ils étaient maintenant tout deux à la même hauteur. Adrian tendit sa main et après avoir saisit le jeune homme par le menton, lui redressa la tête avec une étrange douceur, de manière à ce qu'il n'eut d'autre choix que de regarder le Lycan dans les yeux.

"Dis moi pourquoi préfères-tu à la puissance qui pourrait être tienne si tu nous rejoignais, les viles chaînes de l'esclavage et, Adrian effleurait à présent la peau du jeune homme avec une des griffes de sa main libre, les souffrances que cela pourrait t'apporter ?"

L'immortel approcha sa bouche de l'oreille de sa proie.

"Je veux savoir pourquoi !" lui sussura t-il avec un ton qui n'avait plus rien du ton amical et presque bienveillant qu'il avait adopté les secondes précédentes.

* Il veut me tuer ... Il va me tuer ... Il n'attend que ça ! Ou peut-être aussi attend-il de me transformer, je ne sais pas ... Cela se lit sur son visage, j'ai peur ... Et ce ton amical, il sonne faux.*

" Je veux savoir pourquoi ! ", répéta Adrian.

Tout l'être de Liao se glaça. Un frisson attrocement douloureux le parcourut. Adrian était là, le regard mauvais, il le fixait. Même s'il ne bougeait pas, Liao avait la désagréable sensation qu'il était prêt à lui sauter dessus et à dévorer l'intégralité de son être, os par os, bout par bout, organe par organe ... Tout, jusqu'au plutôt petit morceau. Il était son nouvel esclave, pourquoi ne serait-il pas mijoté, cuit, dévoré ? Liao lut alors l'impatience sur le visage de son maître. C'est ce qui le fit réagir.

" Je ne puis réellement vous répondre ...", commença-t-il alors. " Je comprends que cette réponse vous paraisse bien vague, puisqu'elle n'en est pas une, mais je ne puis vous expliquer. "

Liao sentit alors que son visage était libre de se mouvoir. Il fit quelques tours de tête, comme pour vérifier que son cou fonctionnait encore. Il se perdit ensuite dans ses pensées. Soudain, Liao fut comme transpercé. Il avait l'impression que si son nouveau maître ouvrait la bouche, il lui dirait qu'il ne lui restait plus que l'espace d'une demi-seconde pour donner une raison plus convaincante et plus franche de ne pas le transformer, voire le tuer sur le champ, tout en l'appelant ''esclave''. Et cela serait dit d'un ton qui suffirait à faire trembler les genous de l'esclave.
Pour autant, Adrian ne dit rien. Il se contenta de fixer Liao, de la même manière que précédemment, comme si ce dernier savait qu'il devait tout expliquer précisemment.

" Je ne sais rien de votre espèce. Rien de vos rites, rien de votre fonction. Tout ce que je sais des Lycans, c'est qu'ils ont violé sans la moindre honte ma mère. Je les trouve sans coeur, immonde. Ils sont fiers d'actes tellement bas, tellement vils. Ce n'est peut-être pas le cas de tous ... Mais la race lycane ne semble vraiment pas me correspondre ... ", tenta d'expliquer Liao, tout en guettant le moindre mouvement d'Adrian, visiblement inquièt des réactions potentielles de son maître.

Puis, Liao se sentit ridicule d'avoir prononcé cela. Surement à cause du petit sourire amusé d'Adrian. L'esclave réfléchit à sa race tout en baissant la tête.

*Ma race vaut mieux que la leur ? Certes, ces hommes ont abusé de ma mère, mais, nous, humains, ne violons-vous jamais ? Ne tuons-nous jamais ? N'avons-nous pas inventé toutes ses armes dans le but d'octroyer la mort ? Valons-nous mieux qu'eux ? *

Liao croisa alors le regard du Lycan. Ce dernier semblait attendre, une fois de plus, les paroles de Liao.

* Il a raison, je le sais. Immonde vermine humaine existente ... Oh oui ... L'homme n'est que trop lâche, que trop bas, que trop fou ... Mais l'homme, je le connais ... Le lycan ... Ai-je tout vu de lui ? Je ne veux rien faire. Ma condition d'esclave est profitable. Je mourrais un jour, de vieillesse, ou sous l'impulsion malsaine d'un Lycan, mais je ne serais pas obligé de vivre perpétuellement dans ce monde qui me semble de plus en plus inintéressant. Je ne serai pas immortel. *

Liao se décida soudain et dit, de manière très honnète :
" Je songe, Maître ... Je sais que nous ne sommes pas grand chose. Nous sommes tout aussi mauvais, machiavélique, sadique même ... Mais, au moins, nous le sommes sur une courte durée ... "

Liao n'en dit pas plus. Il ne savait visiblement pas quoi rajouter. Il releva cette tête qu'il avait baissé à chaque fois qu'il s'adressait à son maître. Il souhaitait observer Adrian, voir ses réactions, savoir ce que ce dernier ferait de lui ...

Le Lycan esquissa un sourire, visiblement amusé par la réponse qu'il venait d'entendre.

" Une courte durée..., marmonna t-il, très étrange façon de voir les choses je dois admettre. "

Adrian se retourna vers la fontaine. Il observait l'eau qui s'en écoulait, comme hypnotisé par sa fluidité. Son ouïe fine lui permettait de distinguer le bruit de la respiration haletante du jeune homme malgré le ruissellement de l'eau, respiration qui s'accélérait à mesure que les silences duraient.
Adrian, après toutes ces années passées à martyriser, tyranniser et parfois, il faut bien l'avouer, torturer gratuitement de pauvres humains, se délectait toujours autant de ce sentiment de peur qu'il insufflait chez ses victimes. Il en éprouvait même une certaine fierté, quoi de plus normal pour un Lycan de son rang ? Il lui fallait bien entretenir son égo après tout.

Cette situation aurait pu durer des heures entières sans qu'il ne s'en lassa, mais la sensation étrange de plaisir mêlée à de la curiosité qu'il éprouvait en écoutant l'humain parler l'incita à poursuivre la conversation.

" Et d'ailleurs en quoi est-ce préférable selon toi de vivre moins longtemps lorsque l'on est machiavélique et sadique ? Est-ce pour le bien-être du reste de la communauté ? Cela signifierait que le reste de tes semblables vaudrait mieux que toi pour que tu te sacrifies pour eux. "

Adrian s'était entre temps dirigé vers le pin situé derrière le banc. Il s'était adossé au tronc massif du conifère et poursuivait son discours.

" A moins que ce ne soit pour le monde ? Il paraît que c'est une tendance très à la mode chez vous, vous appelez ça "écologie", Adrian laissa échapper un petit rire moqueur. Mais là encore à quoi bon un monde dont tous ses habitants se seraient sacrifiés pour lui ? Il en serait ravi à n'en pas douter, beaucoup de boulot en moins en perspective ! "

Le ton du Lycan avait changé. Il parlait désormais comme s'il s'adressait à l'un de ses égaux. Sa gestuelle traduisait également ce changement d'attitude. Il accompagnait désormais chacune de ses paroles par de grands gestes du bras, tel un écologiste engagé faisant un discours pour la protection des baleines. Il poursuivit.

" Ou alors tu es l'un de ces fanatiques qui pensent que leur Dieu mérite largement le sacrifice de l'un de ses fidèles. Quelle ironie de croire en sa propre malveillance et de cependant servir un Dieu ,supposé bienveillant et protecteur, qui laisserait ce désir de destruction s'exprimer ! "

Difficile à imaginer, mais Adrian semblait se divertir autant que s'il avait arraché les tripes de son nouveau jouet, on aurait même presque pu lire sur son visage bestial, un soupçon d'intérêt autre que purement matérialiste pour le jeune homme...

Il eut vite la réponse.

Adrian souriait, de ce sourire narquois et amusé dont les humains les plus méprisables et méprisés de la planète pouvait faire preuve. Ce sourire qu’il haïssait plus que tout. Mais pourtant, chez son maître, cela prenait une toute autre dimension, un tout autre sens, comme s’il avait un brin amical, comme s’il n’était en fait pas un sourire, mais une bise … Liao ne comprit pas réellement ce que cela signifiait. Il était plongé dans cette expression du visage d’Adrian quand il perçut un semblant de phrase, marmonnée bien sûr :

« Courte durée .. Étrange »

Liao ne put s’empêcher de sourire. Son maître trouvait étrange sa façon de voir les choses. Qui ne le trouverait pas d’ailleurs ? Mais ça ne pouvait malgré tout que l’amuser. Un Lycan s’étonnait de la bizarrerie de Liao.

* N’est-ce pas lui le plus étrange ? Il se transforme en une sorte de loup et il s’étonne de mes pensées … Cet homme est vraiment bizarre … Peut-être même dangereux, surement d’ailleurs …*

Liao ne put s’empêcher d’arrêter ses réflexions. Son maître venait de faire un mouvement. Il venait de se retourner vers la fontaine. Par peur, Liao avait lui-même eu un mouvement de recul, tel un réflexe, une protection qu’il estimait nécessaire. Car même si Adrian semblait pour le moment faire ami-ami avec lui, ou plutôt esclave-maître, il n’en restait pas moins un Lycan, donc une espèce dangereuse pour lui.

Le jeune esclave guetta, attendant presque une réaction de ce maître tant craint. Mais, il fut plus qu’étonné de voir que cet homme si froid, si glacial, peut-être même si sanglant, observait l’eau. Mais pas comme on observe n’importe quelle chose matérielle que l’on voit. Non. Il observait l’eau comme si elle était de toute beauté, comme si cet amas de gouttes était d’une beauté splendide, comme si elle apportait un message. Il resta ainsi, à fixer, pendant une bonne minute. Cela inquiéta un peu Liao, sa respiration se fit plus forte, plus haletante. Il voulut prendre la parole, mais rien n’y fit, il n’osait pas.

Il attendit alors, patiemment, que son nouveau maître daigne à ouvrir la bouche, à prononcer quelques paroles, à le sauver de cette torture intenable que représentait dorénavant le silence.

Et comme s’il avait entendu cet appel, comme s’il comprenait cette attente, Adrian reprit la parole. Il fit un grand discours à Liao. Discours parsemé de grands gestes, d’allers et venues. Il semblait vraiment impliqué. Cela fit ressentir un sentiment très étrange à Liao car il n’avait encore pas vu autant de démonstrations chez ce jeune maître. Il était partagé entre une certaine aisance, qui lui permettait de se dire que, finalement, une part humaine demeurait en lui, et une envie de fuir, par peur qu’Adrian, prit par l’émotion, ne se montre violent envers lui.

Soudain, quelque chose frappa Liao dans les paroles qu’il entendait. Tout ce qu’on lui disait … Absolument tout. Tout était vrai. Adrian, tout en étant Lycan, avait cerné la nature humaine. Et quelle nature humaine …

* Cet homme me ressemble. Il m’attaque … Mais il me ressemble …*

Adrian parla de beaucoup de choses : de l’écologie, de Dieu, de toutes ses valeurs dont l’Homme s’encombraient pour avoir un sentiment chovin et insupportable de perfection. Mais ce qui choqua encore plus Liao, ce n’était pas cette facilité déconcertante qu’avait eu son maître à dire tout cela sans se tromper. Non. C’était ce sourire qu’il avait. Il semblait vraiment s’amuser. Comme s’il n’avait pas eu d’occupation plus intéressante depuis des siècles.

«  Je ne suis aucun de cela », lui répondit alors Liao, « Mais si un être est mauvais, pourquoi devrait-il stagner sur Terre ? Qu’apporte-t-il ? Il fera le mal … Ce n’est pas réellement son sadisme qu’il faudra lui reprocher, mais la conséquence de ses actes. Pensez-vous, Maître, que si on lui allongeait sa durée de vie, il se lasserait et finirait par devenir bon ? »

A cette question qu’il avait posé sans réfléchir, Liao eut un sursaut. Il se retourna alors, observa le jardin autour de lui, les yeux grands ouverts. Il se sentait perdu, comme s’il venait de mettre le doigt sur une des vérités les plus importantes et les plus tues que le monde n’est jamais prononcé …

* Et si l’expérience apportait cette plénitude ? *

Adrian observait attentivement le jeune homme. Il guettait le moindre de ses faits et gestes, même le plus infime battement de cil ne pouvait lui échapper.

Il ne recherchait cependant pas la peur ou l'anxiété comme les mauvaises langues auraient pu le suggérer. Non, il savait déjà qu'en cherchant là où il le fallait il en trouverait. Mais ce n'était pas ça qui l'intéressait, pas cette fois. Ce qu'il esperait trouver, à vrai dire, il l'ignorait. Il avait la sensation d'être étranger à ses propres pensées.
Cette sensation aurait pu l'agacer, l'irriter profondemment, à tel point que pour s'en défaire il aurait du déverser sa frustration sur le jeune homme, or ce n'était pas le cas et ça, Adrian ne pouvait se l'expliquer. Au contraire cela lui procurait une sensation étrange de légèreté, comme si une partie de la culpabilité accumulée au fil de ces huit derniers siècles se dissipait.
Etait-ce le jeune homme qui en était à l'origine ? Ou bien était-ce Adrian qui se ramolissait ? Peu importe au final, cette sensation était présente et loin d'être désagréable.

Visiblement, Liao semblait maintenant observer les jardins. Pour la première fois, il ne pouvait plus voir les gestes du Lycan.

Il semblait le fuir, fuir l'espèce qu'il redoutait tant. Peut-être cherchait-il une source de réconfort qui pourrait apaiser ses craintes parmis les splendeurs du jardin qui l'entourait ? Telle était la supposition d'Adrian.

Le Lycan se dirigea une nouvelle fois vers la fontaine qu'il appréciait tant. Il posa ses mains sur le rebord.

" Vois-tu, commença t-il, si ces jardins sont tels qu'ils te l'aparaissent aujourd'hui, c'est uniquement grâce à tes semblables. Aussi vicieux et méprisables soient-ils, je dois bien admettre qu'ils possèdent un talent fou pour entretenir la nature et la modeler de façon à ce qu'elle nous aparaisse comme acueuillante." continua t-il.

Toujours en se tenant dos à Liao il ajouta.

" Les êtres vivants ont plusieurs facettes, les blamer car une d'entre elle n'est pas à notre goût m'apparaît comme absurde. Les conséquences de leurs actes devraient être prises en compte dans leur intégralité et non individuellement. Pourquoi condamner un saint et un être malveillant de nature à la même peine pour avoir commis le même crime alors que le saint a beaucoup plus oeuvré pour le bien dans sa vie ? C'est comme ça que votre "justice" fonctionne non ? Elle punit en fonction du crime. Je ne peux t'en vouloir petit de.... " Adrian s'interrompit.

Il venait de l'appeler "petit", ce surnom d'une niaiserie qui lui semblait abérante et qui était généralement signe que celui qui le prononçait éprouvait une certaine sympathie pour son interlocuteur. Après une brêve hésitation, il reprit.

" Je ne peux t'en vouloir de penser ainsi. Et pour répondre à ta question, non je n'y crois pas. Mes 950 ans d'existence sur cette Terre m'ont appris à ne pas y croire. "

Cette dernière phrase raviva en lui le souvenir de son frère qu'il haïssait tant. A cette pensée, un frissonement glacial refroidit ses élans philosophiques. Ses doigts se crispèrent, et il apperçut dans l'image que l'eau lui renvoyait de lui même, une pointe de rage se dessiner dans ses yeux bruns.

Tandis qu’il observait les jardins en se sentant perdu, Liao sentit le regard d’Adrian posé sur lui. Cela lui fit froid dans le dos. Pour autant, il ne se retourna pas. Depuis qu’il avait posé cette question, il avait peur, peur de ce qu’il avait dit, peur de ce qu’Adrian avait pu penser, et surtout peur de la réponse qu’il entendrait. Les jardins semblaient un peu humanisés … Cela lui apportait un certain réconfort, aussi bizarre cela paraisse-t-il.

Liao eut soudain un frisson. Il venait de bouger. Son interlocuteur s’était déplacé … Apparemment, jusqu’à la fontaine, d’après les paroles prononcées. Liao se retourna alors, pour l’observer, comme à son habitude nouvelle. Puis, en écoutant Adrian parler, Liao se rendit compte de quelque chose … Il complimentait les humains … Pas sur tout, bien sûr. Mais l’antipathie du Lycan envers les Hommes n’était pas complète. Il nuançait ses propos. S’en était intrigant …

Puis, Adrian parla de la justice humaine, avec, une fois encore, une vérité affolante dans ses propos.
« Pourquoi condamner un saint et un être malveillant de nature à la même peine pour avoir commis le même crime alors que le saint a beaucoup plus œuvré pour le bien dans sa vie ? C'est comme ça que votre "justice" fonctionne non ? Elle punit en fonction du crime. Je ne peux t'en vouloir petit de ... »

‘Petit’ … Ce mot avait choqué Liao encore plus que le fait que son interlocuteur ait cerné si bien le problème de la justice chez ses compères. En effet, employer un tel mot était une marque de sympathie, du moins à ses yeux. On n’appelle pas petit le premier être qui passe dans la rue. Etait-ce pour cela que son maître s’était arrêté de parler d’ailleurs ? Surement oui …

Mais cette interrogation ne fut que de courte durée puisque Liao put entendre ces paroles :
« Je ne peux t'en vouloir de penser ainsi. Et pour répondre à ta question, non je n'y crois pas. Mes 950 ans d'existence sur cette Terre m'ont appris à ne pas y croire. »

950 ans … C’était la première fois qu’Adrian livrait son âge à Liao. Ce dernier n’en crut pas ses oreilles. Les Lycans étaient donc vraiment immortels ?

* Mais qu’a-t-il pu faire en tant d’années d’existence ? N’est-ce pas lassant ? Et surtout pourquoi ses doigts semblent-ils soudain si crisper ? Qu’a-t-il bien pu vivre ? *

Liao se dit tout cela tout en ressentant une émotion partagée. Il avait peur, très peur même, de l’expression d’Adrian ; mais, en même temps, il se sentait un peu triste de le voir dans cet état, comme s’il avait voulu panser ses peines. Liao s’étonna d’ailleurs de cet état. Il avait tout de même en face de lui un être avide de sang et particulièrement dangereux …

« Pourquoi cette rage vient-elle s’emparer de vous ? », lâcha alors Liao, sans avoir vraiment contrôlé sa parole, comme si la curiosité avait été plus forte que tout le reste.

Liao fut pris de forts tremblements après avoir dit cela. Il venait, selon lui, de signer son arrêt de mort. Il observa alors Adrian, les larmes aux yeux, un peu perdu, presque en le suppliant. Il attendait la sanction …

A peine Liao eut-il prononcé ces paroles que les doigts d’Adrian semblèrent se décrisper. Bien sûr, cela pouvait être une illusion puisqu’Adrian était toujours dos à lui ; mais c’est bien ce qui semblait se produire. Liao eut l’impression que sa question avait eu une sorte de vertu apaisante sur Adrian. Il s’enleva rapidement l’idée de la tête. Ou plutôt, sa peur vis-à-vis du Lycan lui enleva rapidement l’idée de la tête.

La réaction tant redoutée par Liao, c’est-à-dire des coups, une morsure ou il ne savait encore quelle manifestation de violence, n’eut pas lieu. Adrian resta incroyablement calme. Il mit tout de même un certain moment à répondre, comme s’il réfléchissait à ce qu’il allait dire.

Soudain, Adrian se mit à s'avancer de son interlocuteur, pas à pas, très lentement, comme pour déstabiliser ce dernier. Il donna une réponse très inattendue à la question.

« As-tu peur ? »

Sur le coup, Liao ne sut pas bien ce qu’il devait comprendre. Il ne voulait pas que son maître aille dans cette direction. Il attendait vraiment qu’il se livre un minimum, sans arrières pensées, comme entre amis. Cela pouvait paraître logique qu’il ne l’ait pas fait ; mais cela frustra tout de même quelque peu Liao.
S’il avait peur ? Bien sûr, quelle question ! Et son maître le savait très bien. Mais il se dit alors quelque chose de très étrange …

* Si Adrian me demande ça, n’est-ce pas parce qu’il a lui-même peur de répondre à ma question ? Qu’a-t-il donc à cacher ? Que veut-il que je réponde ? Qu’attend-il de moi ? *

Ce qui stoppa les réflexions de Liao, c’était ce sourire gigantesque qui se manifestait sur le visage d’Adrian. Et, plus que tout ce que son maître avait pu faire jusqu’à maintenant, ce fut ce sourire qui inquiéta Liao, voire qui le bloqua complètement. Malgré tout, il devait donner une réponse …

« J’ai peur, oui. J’ai toujours eu peur, que vous dire d’autre ? Mais vous, n’avez-vous pas également peur ? », se risqua-t-il alors à répondre, comme si, une fois de plus, les mots étaient sortis d’eux-même, sans réel contrôle.