Incommodante vertu [Liouba]

Une vie rangée dans une famille rangée dans une demeure rangée. Quoi de plus beau ?
Une vie extravagante dans une famille hors norme dans une demeure exubérante. Oui, c’était bien mieux ainsi. Il fallait bien occuper tous ces siècles à quelque chose et le contexte familial était parfait pour se distraire dès que le désir l’en prenait. Il suffisait de provoquer un frère qui perdait rapidement son sang froid face à votre éternel sourire moqueur et arrogant où bien alors de jouer au grand frère responsable avec sa petite sœur pas très adepte de sa manière de vivre. Oui, rien de plus facile en soit…

Comment, l’air de rien, il avait pu déposer un billet sur le lit de sa chère petite sœur, l’invitant très poliment à le rejoindre dans le grand salon afin de discuter gentiment. Toutes ces démarches, toutes aussi civiques les unes que les autres ,pour en venir à une conversation qui allait être loin, mais très loin, d’être gentille …

Une fois dans la pièce de rendez-vous, Yulian parti directement se servir un verre de cognac qu’il posa sur une petite table jouxtant son fauteuil préféré devant l’immense cheminée en pierre. Il venait de rentrer au château et n’avait prit le temps que de passer par son bureau pour rédiger la note à l’intention de Ludmilla, avant de passer par la chambre de cette dernière, puis venir ici. Il savait pertinemment où elle était et qu’elle ne rentrerait sûrement qu’aux premières lueurs du jour, c’est pourquoi il attrapa un livre quelconque de la petite collection qu’il avait placé dans cette pièce.

Assis dans son fauteuil, il ne lut pourtant pas ce livre et se contenta de fixer l’antre de la cheminée, les flammes se reflétant dans ces pupilles d’une manière hypnotisante, plongé dans ses pensées. Certes, il avait convié sa sœur à cette entrevue en majeure partie pour s’amuser un peu, sa chère Liouba lui ayant procuré un motif de querelle parfait il n’attendait que de la voir se dresser contre lui à nouveau. Cependant, le plaisir qu’il en ressentait d’avance était tinté par un autre sentiment bien plus sérieux de véritable colère. Comment avait-elle pu prendre un tel risque ?! Elle savait ce que représentait la loi du secret pour leur survie à tous. Que se passerait-il si l’humanité venait à apprendre leur réelle existence à son avis ? Ils seraient tous traqués et éradiqués pour ce qu’ils représentaient, pour toutes les lois auxquelles ils échappaient. Rien que de penser à tout cela, son sentiment de colère s’intensifia doucement mais sûrement. Il avait besoin de violence, de sang, de combat, de haine …

Mais non il n’avait pas le droit de céder à ses plus bas instincts aussi facilement, cela faisait des siècles qu’il avait appris à être maître de lui-même en toutes occasions, il ne devait pas faillir, pas dans de telles circonstances et pour si peu. Mais voilà il avait bien du mal à se contenir, lui qui ne s’était jamais rien refusé.

*Quelle incommodante vertu, le vice est bien plus commode*

Il en aurait presque poussé un soupir de déception ou de lassitude qui sait. Il avait envie d’avoir cette conversation comme il avait envie de retourner dehors se nourrir ou trouver un lycan à se mettre sous la dent. Choix cornélien en perspective, Yulian, en puisant dans le peu de sagesse qu’il avait pu accumuler avec les années, se borna à boire une gorgée de ce liquide aimé tout en ouvrant ce fichu bouquin.

Ludmilla était rentrée tard ... Ou plutôt très tôt, aux premières lueurs du jour. Le ciel était très beau, ce matin. Un rouge étincellant perçait entre de rares nuages. Une boule jaune orangée montait lentement vers le ciel. Cela aurait donné un magnifique tableau. C'était un magnifique tableau. Elle revenait car elle avait choisi d'aller faire un tour dehors, une fois de plus. Elle le faisait généralement le jour, mais cette nuit, sans savoir pourquoi, elle avait eu un mauvais pressentiment et avait donc ressenti ce besoin, puissant, imposant, énervant, de sortir, d'aller vérifier, de savoir.

Depuis quelques temps, Ludmilla était devenue 'amie' avec un humain. Enfin, 'amie' est un bien grand mot. Cet homme était une simple connaissance avec qui elle appréciait parler. Grand, blond, mystérieux, il avait une certaine amertume envers la vie. Plusieurs fois, elle avait pensé à demander à l'un de ses frères de le transformer d'ailleurs ; mais elle n'avait jamais osé, par peur de ce qu'il deviendrait ... En effet, qu'il soit Vampyr ou Lycan, il obtiendrait une force inconsidérable. Or, comme il était lunatique à souhait, comment Ludmilla pouvait-elle être sûre qu'il ne blesserait pas ou ne tuerait pas inutilement certains êtres, toute race confondue ?

Ses doutes concernant la santé de son compère n'étaient pas infondés. Il entamait une sorte de dépression. Il se sentait inférieur, refusant toute aide de qui que ce soit, si ce n'est de Ludmilla. Il avait fallu l'intégralité de la nuit à notre hybride pour lui redonner le moral. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle rentrait à cette heure. Mais elle avait accompli sa tâche, une fois de plus. Elle ne souhaitait maintenant plus qu'une chose : se reposer.

A peine arrivée dans sa chambre, elle vit ce billet posé là-bas. Elle le lut :

"Loubia, ma chère soeur, j'ai à te parler, peux-tu te rendre dans le salon, s'il te plaît. Cela fait longtemps que tu n'as pas eu de conversation avec ton frère. A tout à l'heure. Yulian."

Si-tôt le message lut, la petite soeur se précipita dans le salon. Elle y trouva son frère, assis, un cognac à la main, les yeux dans le vide, surement en train de penser à quelque chose. La colère et l'anxiété semblaient se dessiner sur le visage de celui-ci.

* Que va-t-il encore me reprocher ? Ou bien, de quoi a-t-il besoin de ma parler ? Qu'a-t-il encore fait ? Ah, trop dur et lointain est le champ d'actions des êtres possédant une supériorité inscrite dans les moeurs ... Si seulement ...*

Elle n'eut pas le temps de finir ses pensées, coupée par Yulian.